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Le Fictionaute

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Chroniques littéraires, science-fiction et mauvais genres.

Christopher Priest - «Conséquences d'une disparition»

Publié par Victor Montag sur 7 Septembre 2018, 13:32pm

Une h(H)istoire américaine

 

Au début de la seconde décennie du XXIe siècle, dans une Écosse indépendante et membre de l'Union Européenne, Ben Matson, journaliste scientifique, apprend deux nouvelles. Kyril Tatarov, mathématicien, vient de décéder, et l'épave d'un avion a été découverte dans l'Atlantique, à quelques miles de la côte du Delaware. La coïncidence de ces événements le replonge dans de douloureux souvenirs et réactive une vieille obsession. Le 11 septembre 2001, sa petite amie de l'époque, Lil, a disparu. Elle était sans doute  passagère du vol American Airlines 77, qui a été détourné et s'est écrasé sur le Pentagone à Washington.

 

Ben Matson se souvient. De sa courte mais intense relation avec Lil, de l'horrible journée qui y mit fin, des années qui suivirent et de son deuil impossible. De son acharnement à trouver une vérité insaisissable, incompatible avec une version officielle truffée d'incohérences. De ses deux interviews de Tatarov, et du lien qui unissait le mathématicien aux événements du 11 septembre 2001. De l'Hôtel Hydrothérapique de Port Bannatyne sur l'île de Bute, qui semble étrangement réunir tous ces souvenirs et les gens qu'ils concernent.

 

Le nouveau roman de Christopher Priest, «An American Story», arrivé hier dans les librairies britanniques,  sera disponible en France la semaine prochaine, le 13 septembre 2018, sous le titre «Conséquences d'une disparition» : le titre «Une histoire américaine» était déjà pris.

 

Dix-sept ans et deux jours après les sinistres attentats de New-York et Washington, Christopher Priest vous invite à une expérience hybride et troublante : revisiter la tragédie dans un cadre romanesque, mais sur la base d'éléments documentaires tout ce qu'il y a de plus sérieux. Les personnages sont imaginaires, leur histoire aussi, l'Histoire est bien réelle. Et le sujet délicat. Parce que ce qu'explore l'écrivain à travers son personnage, ce sont les zones floues, contradictoires, contestables et contestées de la version officielle de ce qui s'est passé ce jour-là.

 

«Conséquences d'une disparition» n'est (presque) pas un roman de science-fiction. C'est une histoire de dissonance cognitive. Celle qui travaille Ben Matson, tiraillé entre son désir de faire son deuil et sa volonté de connaître la vérité sur la disparition de Lil. Celle qui nous menace chaque fois que se manifeste une incohérence dans la narration communément admise des attentats, et que vacille "tout ce que nous avons tenu pour acquis au sujet d'un gouvernement démocratiquement élu qui dirige une nation avancée et civilisée". C'est aussi un roman sur la vérité, sur la manière dont les opinions, exactes ou erronées, dès lors qu'un grand nombre de gens y prêtent foi, ont des conséquences bien réelles.

 

Christopher Priest est un romancier admirable, et son dernier roman ne dément pas un talent que j'ai de nombreuses fois salué. On retrouve intacte sa maîtrise de la dramaturgie, son style raffiné, la profondeur de ses personnages, et sa merveilleuse aptitude à faire surgir un environnement et à le faire résonner avec son histoire et l'état d'esprit de ses protagonistes.

 

Christopher Priest est aussi un homme rationnel, pondéré et sérieux. Son propos n'est nullement de se faire l'écho de théories conspirationnistes, mais de mettre en scène les données troublantes exposées par ceux qui remettent en cause la version officielle du drame inaugural du XXIe siècle sur la base de faits incontournables, sans s'aventurer à formuler de narration alternative. On les appelle les truthers, et leurs témoignages sont très perturbants. «Conséquences d'une disparition» est en ce sens un roman optimiste, car il témoigne de l'espoir qu'un jour, une preuve apparaîtra qui viendra enfin faire toute la lumière sur un mystère si déterminant pour l'Histoire du monde.

 

Mais Christopher Priest est peut-être un homme un peu naïf, ou c'est moi qui suis cynique. Certes, les conséquences de l'histoire officielle des attentats du 11 septembre 2001 ont amplifié, complexifié et marqué du sceau du mensonge et de la dissimulation le conflit qui oppose les fanatiques islamistes au reste du monde. Mais ni la catastrophe du 11 septembre 2001 ni sa version officielle n'ont fait l'Histoire. L'islamisme est apparu dans les années 1920 avec les Frères Musulmans, et le terrorisme qui s'en inspire fait des victimes innocentes partout dans le monde depuis les années 1980. Enfin, le mensonge, la dissimulation et la réécriture de l'Histoire et des histoires ne sont-ils pas consubstantiels à l'exercice du pouvoir ?

 

Cette remarque mise à part, «Conséquences d'une disparition» est un roman assez phénoménal, dont on regrettera seulement qu’il n’ait pas été proposé dans une collection de littérature blanche, au regard de l’importance et de l’universalité du sujet qu’il traite.

«Conséquences d'une disparition», roman de Christopher Priest
Traductionn de Jacques Collin
Illustration d'Aurélien Police
Editions Denoël Lunes d'Encre, 13 septembre 2018

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