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Le Fictionaute

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Chroniques littéraires, science-fiction et mauvais genres.

Emily St. John Mandel - "La mer de la tranquillité"

Publié par Victor Montag sur 14 Juin 2023, 16:15pm

Catégories : #science-fiction, #voyage temporel, #voyage dans le temps, #Emily St. John Mandel, #Kasia Derwinska, #Gérard de Chergé

Entrée en science-fiction avec "Station Eleven", roman popularisé par la série télévisée éponyme, Emily St. John Mandel revient sur le terrain de la spéculation avec son nouveau roman "La mer de la tranquillité", qui arrive dans sa traduction française chez Rivages le 23 août prochain. Petite évocation à chaud après lecture en avant-première.

L'anomalie

Imaginez que, quelques quelques secondes durant, vous soyez frappé de cécité, comme plongé dans un intérieur caverneux, vous entendez quelques accords de violon suivis d'un étrange bruissement, puis la réalité revient à la normale. Ils sont au moins deux à avoir fait cette expérience hallucinatoire : Edwin St. John St. Andrew en 1912 et la jeune Vincent Smith en 1994, dans les bois de Caiette, au nord de l’île de Vancouver. Vincent a même filmé la scène... Dans le roman dont elle assure la tournée promotionnelle en 2203, Olive Llewellyn a fait référence à un moment vécu similaire.

En 2401, sur Colonie Un, dans la Mer de la Tranquillité sur la Lune, Gaspery-Jacques Roberts rejoint l'Institut du Temps où travaille sa brillante sœur Zoey. Pour sa première mission de voyageur temporel, il est chargé d'enquêter sur l'anomalie. Il devra rencontrer chaque témoin du phénomène, et tous ceux qui en ont eu vent.

Tranches de vie

Le roman s'ouvre sur quatre moments de la vie de quatre protagonistes.
- Edwin St. John St. Andrew, un rentier britannique à la dérive, arrive au Canada en 1912. Il erre à la recherche d'un projet, d'une motivation dans une existence vide de sens, jusqu'à son rendez-vous avec l'anomalie.
- Mirella Kessler (personnage transfuge du précédent roman de St. John Mandel "L'hôtel de verre"), est une ancienne connaissance de Vincent. En 2020, l'irruption d'un souvenir la pousse à prendre des nouvelles de son amie, et à se rapprocher de son frère. Ce dernier, compositeur, utilise dans ses spectacles la fameuse vidéo que Vincent a prise de l'anomalie.
- Olive Llewellyn, autrice vivant sur la Lune, passe quelques semaines sur Terre pour une campagne de promotion de son roman "Marienbad". Elle enchaîne les séances de signatures, les conférences et les chambres d'hôtel dans un marathon de journées répétitives et si semblables. Lors du dernier interview de sa tournée, un journaliste semble très intéressé par l'épisode de l'anomalie mentionné dans le roman.
- Gaspery-Jacques Roberts est agent de sécurité dans le Grand Luna Hôtel de Colonie Un, sur la Lune. Rien de bien passionnant. Lorsque sa sœur Zoey, très inquiète, lui fait quelques confidences sur cette anomalie qui la tracasse, il saisit la balle au bond et se porte volontaire pour parcourir la trame temporelle et enquêter sur le phénomène.

Temps et réalité : une fiction ontologique

Le thème du voyage temporel est un marronnier de la SF, si ce n'est de la pensée humaine. Son apparition remonterait à l'antiquité, où il aurait inspiré la philosophie, avant de s'épanouir dans la littérature et, plus récemment, le cinéma.
Chez Emily St. John Mandel, il prend un aspect inédit et diablement bien exploité. Le temps est un matériau et le voyage un outil. On ne voyage pas dans les siècles pour dénouer des paradoxes ou pour des considérations historiques. On s'y promène pour prendre le pouls du temps, sonder la réalité, et vérifier une terrible intuition, la fameuse hypothèse de la simulation.
Le lecteur saisit à rebours la subtilité des longues et belles pages au cœur de l'intimité des personnages. Elles examinent leur rapport au temps tout en exposant le noyau dur de leur "être au monde", ce qui donne toute la valeur à leur vie.
Car le projet du roman n'est pas seulement de mettre en scène la possibilité que nos existences soient des lignes de programme d'une insondable simulation. Il s'agit de formuler dans l'histoire individuelle, la chair, les émotions, les sentiments, tous les petits riens si précieux qui font une vie humaine, la seule réponse possible : "Et alors ?".

Petit chef d’œuvre

"La mer de la tranquillité" est un roman d'une intelligence, d'une sensibilité et d'une profondeur attachantes. L'investissement de la romancière dans son récit, entre autofiction et autobiographie, n'est sans doute pas étranger à ces qualités. Edwin est inspiré de son arrière-grand-père Newell St. Andrew St. John, et Olive est son double avoué, transcription de sa propre expérience d'écrivain. Son écriture pendant la récente pandémie, expérience commune et singulière, contribue à la proximité que ressent le lecteur avec les personnages comma avec l'auteur elle-même. On ressort ému, enrichi et plein de gratitude de la lecture de ce texte, alchimie de l'intime et de l'universel, du quotidien et de la métaphysique. On ferme le livre en souriant, paisible et serein, comme immergé dans une mer de tranquillité.

"La mer de la tranquillité", roman d'Emily St. John Mandel

Traduction de l'anglais (Canada) de Gérard de Chergé

Illustration de Kasia Derwinska

Éditions Rivages - 23 août 2023

(Merci à Alain Deroudilhe pour le service de presse)

Emily St. John Mandel - "La mer de la tranquillité"
Présentation promotionelle des éditions Rivages

Présentation promotionelle des éditions Rivages

L'llustration de Kasia Derwinska pour la couverture.

L'llustration de Kasia Derwinska pour la couverture.

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