Liu Cixin - "La Forêt Sombre"

Le chasseur et sa proie

Le secret que révélait "Le Problème à Trois Corps", premier tome de la trilogie Three-Body de l'auteur chinois Liu Cixin, est désormais connu de tous. [Attention, spoiler] Une flotte d'un millier de vaisseaux extraterrestres, en provenance du système de Trisolaris, est en route vers la Terre. Objectif : invasion, destruction de la race humaine. Heure d'arrivée estimée : quatre siècles. On sait aussi que des traîtres humains sont responsables de ce désastre. Ceux qui ont communiqué les coordonnées du système solaire, et les misanthropes de l'Organisation Terre Trisolaris, cinquième colonne des futurs envahisseurs. Enfin, on ne les voit pas, mais les Intellectrons, particules intelligentes déployées en onze dimensions microscopiques, surveillent la Terre et empêchent tous développement des sciences fondamentales humaines.

Lorsque s'ouvre "La Forêt Sombre", la situation sur la planète bleue n'est pas à la fête. Tandis que les autorités réfléchissent aux mesures à prendre, deux fléaux se développent : le défaitisme et l'évasionisme. La certitude que la Terre succombera à l'invasion induit la tentation de la fuite dans l'espace. Mais la résistance triomphaliste s'organise, et le projet Colmateur est lancé. Les trisolariens étant ignorants du mensonge, quatre élus auront pour mission d'imaginer dans le secret de leur esprit une stratégie victorieuse. Les quatre Colmateurs auront des ressources illimitées et le soutien de toutes les nations...

"La Forêt Sombre", coeur de la trilogie Three-Body, est construit en deux volets, exposant les vingt premières années de la crise trisolarienne avant de faire un bond 200 ans dans le futur. On quitte les déterminants historico-politiques du premier tome pour affronter un avenir terrifiant, tandis que la réalité violente et cynique du cosmos se dévoile peu à peu.

L'incroyable talent de Liu Cixin irrigue ce roman noir et haletant, addictif et novateur. Sans négliger la conduite d'une intrigue rebondissante et peu prévisible qu'il convient de préserver entièrement, la star de la SF chinoise développe un univers glacial et intelligent, et propose au passage une solution inédite au célèbre paradoxe de Fermi, en forme de leçon de chasse.

On regrette quelques longueurs et une "histoire d'amour" qui semble s'être égarée dans le mauvais roman, mais l'agacement s'estompe vite devant la maîtrise de l'ensemble. Les trisolariens gardent leur mystère. Si cette inconnue était frustrante dans le premier roman, le second opus les relègue au second plan. Le personnage principal en est l'humanité. Le vrai sujet n'est pas une histoire d'invasion extraterrestre, mais une chronique psycho-sociale de l'entrée du primitif singe savant sur la scène cosmique, beaucoup moins déserte qu'il n'y paraît. 

Quand intervient le dernier coup de théâtre et que s'achève "La Forêt Sombre", l'esprit du lecteur, conquis et affamé, gémit déjà à la perspective de l'année qui le sépare de la traduction du dernier tome de cette excellente trilogie.

"La Forêt Sombre", roman de Liu Cixin

Traduit du chinois par Gwennael Gaffric

Illustration de Stephan Martiniere

Editions Actes Sud Exofictions 2017

Illustrations de Stephan Martiniere pour la trilogie

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