Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le Fictionaute

Le Fictionaute

Chroniques littéraires, science-fiction et mauvais genres.

Adorée Floupette - "Les Affaires du Club de la Rue de Rome"

Publié par Victor Montag sur 18 Février 2020, 13:00pm

À l'heure des réseaux et de la numérisation systématique des fonds documentaires, Adorée Floupette est une singularité littéraire. Ecrivain prolifique en son nom propre et même nègre littéraire d'au moins un prix Goncourt, elle est non seulement oubliée mais comme effacée de la mémoire collective. On ne retrouve plus aucun exemplaire de ses oeuvres, pas plus que mention de leur parution chez les éditeurs ou dans les bibliothèques. Peut être cette étrange malédiction a t elle pour origine sa quasi homonymie avec le pseudonyme littéraire collectif masculin du XIXe siecle ?

Heureusement, comme une sorte de miracle, l'écrivain Léo Henry a eu la chance de consulter il y a une vingtaine d'années une documentation fragmentaire sur Adorée Floupette dans des conditions qu'il explicite en introduction de l'ouvrage "Les Affaires du Club de la rue de Rome". Sur la base des notes qu'il a prises à l'époque, il propose, en guise d'hommage à l'oubliée, un exercice entre rééditon et réécriture d'une partie de son oeuvre romanesque. Avec trois autres auteurs, Luvan, Raphaël Eymery et Johnny Tchekhova, il publie aux éditions La Volte le premier tome d'une série d'enquêtes surnaturelles situées dans le Paris de la fin du XIXe siècle. 

Paris, 1891. Stéphane Mallarmé, futur successeur de Verlaine au titre de Prince des Poètes, vit dans un petit appartement au 89 rue de Rome. Sa santé se détériore, et il ne peut plus guère sortir de chez lui. Tous les mardis soirs, il reçoit ses amis écrivains, poètes et artistes pour des discussions littéraires devenues célèbres. Mais les "mardistes" ne se contentent pas d'échanges intellectuels. Une poignée d'entre eux se consacre à une mission secrète de première importance : la lutte contre le Mal qui rôde dans la capitale et alentours, les monstres et les horreurs en sommeil réactivées par des occultistes satanistes illuminés dévorés par la quête du pouvoir ou de la richesse.

Ce premier tome des "Affaires du Club de la rue de Rome" présente quatre enquêtes que Mallarmé a délégué à un ou plusieurs de ses amis. Dans "L'étrange chorée du Pierrot blême", adaptée par Léo Henry, le journaliste et humoriste Alphonse Allais et la danseuse Jane Avril combattent un inquiétant clown et un transformiste insaisissable. Les peintres Gustave Moreau et Maria Iakountchikova, et la future marchande d'art Berthe Weill se voient sommés de mater la résurgence de monstres légendaires communs aux folklores russe et juif, mission que raconte "Coquillages et crustacés" réécrit par Luvan. Raphaël Eymery reconstruit dans "L'effroyable affaire des souffreuses" les tribulations d'une compagnie d'écrivains parmi lesquels Pierre Louÿs, Oscar Wilde, Rachilde, Alfred Jarry et Ernest Dawson, confrontés à un épouvantable mystère qui torture des petites filles. Johnny Tchekhova, pour son premier texte publié "Les plaies du ciel", revisite l'investigation sur la mort du poète Solad, menée par Octave Mirbeau, l'énigmatique Aimé, cocher de Mallarmé et le jeune fleuriste Charles.

Avec sa série du Club de la rue de Rome, l'idée romanesque d'Adorée Floupette, bien comprise par ses talentueux adaptateurs, est de donner vie aux univers horrifiques et baroques des artistes décadents et symbolistes de la fin du XIXe, avec des histoires et des créatures comme jaillies de leurs tableaux et de leurs poèmes. L'hommage infuse jusqu'au style adopté, une langue affectée et truculente, outrée et grandiloquente, avec distance et humour.

Préoccupation plus actuelle peut être, la place réservée aux personnages féminins est particulièrement intéressante. Les hommes commencent en occupant le devant de la scène, c'est à eux que Mallarmé confie ses missions. Mais tandis qu'ils se laissent porter par les événements, ce sont les femmes, dans leur ombre, qui agissent et dont les décisions sont déterminantes pour la victoire contre le Mal.

 

Gothique et décadent, amusant et terrifiant, savant et référentiel, "Les Affaires du Club de la rue de Rome" est un objet littéraire unique et passionnant, dont on espère qu'il sera bien le premier tome d'une longue série à laquelle l'éditeur pourrait inviter de nombreux écrivains à adapter ce qui reste des notes sur Adorée Floupette exhumées par Léo Henry.

«Les Affaires du Club de la Rue de Rome», recueil d'Adorée Floupette
Textes de Léo Henry, Luvan, Raphaël Emery et Johnny Tchekhova
Illustrations de Laure Afchain et Ambre
Editions La Volte 2020

Archives

Articles récents