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Le Fictionaute

Le Fictionaute

Chroniques littéraires, science-fiction et mauvais genres.

Antoine Bello - "Ada"

Publié par Victor Montag sur 5 Août 2016, 14:00pm

Antoine Bello - "Ada"
Antoine Bello - "Ada"

Synopsis

Frank Logan, policier de la Task Force for Missing Persons and Human Trafficking de San Jose en Californie, poète à ses heures perdues, enquête sur la disparition d’Ada, un prototype d’intelligence artificielle (IA) conçue pour écrire des romans sentimentaux, produit de la société Turing Corp.

Son investigation lui fait découvrir le monde des programmes informatiques intelligents, les motivations de ses acteurs économiques, et les enjeux sociétaux de cette technologie émergente.

Sa rencontre avec Ada transforme son enquête, qui semble délaisser la criminologie pour une discussion savante sur l'amour, la littérature, le langage, et les heurs et malheurs de la technologie.

Si Frank Logan dialogue avec Ada, le mystère de la disparition de l'IA est pourtant loin d'être résolu. L'inspecteur et le lecteur avec lui, qui naviguent au gré des affirmations des uns et des autres, sont loin d'imaginer l'incroyable révélation qui les attend au bout du chemin...

Antoine Bello - "Ada"

L'Enchanteresse Numérique

Ada est une icône geek partagée par les informaticiens, les lecteurs de poésie romantique, les fondus de science-fiction, et les féministes. Fille de Byron, Ada Lovelace (1815-1852) était une remarquable mathématicienne victorienne, considérée par beaucoup comme le premier programmeur et l'auteur du premier algorithme. Elle a donné son nom à un langage de programmation et à un mouvement féministe technophile, et inspiré le personnage éponyme du roman «La Machine à Différences» de Gibson et Sterling.

C'est une intuition qui lui vaut de donner le nom à un prototype d'intelligence artificielle, personnage du nouveau roman d'Antoine Bello. Dans ses notes sur la Machine Analytique de Babbage, Ada Lovelace spécule sur les possibilités de l'engin : "la machine pourrait composer des morceaux de musique" s'enthousiasme la femme savante, anticipant une des fonctions possibles des futures intelligences artificielles.

Intelligentia artificialis

L’intelligence artificielle est à la fois le cadre, le sujet et le personnage principal du roman : «Ada» se situe dans le monde des IA, parle d’IA et met en scène une IA.

Le néophyte s’initie à la généalogie du concept, depuis le «calculus ratiocinator» de Leibnitz jusqu’aux algorithmes contemporains, en passant par Vaucanson, Turing, la loi de Moore et Deep Blue. Les personnages débattent avec passion des avantages et inconvénients de la généralisation de l’usage des IAs, des conséquences économiques et sociales qu’elle entraînerait, de l’inéluctabilité de la révolution technologique qui s’annonce, sans oublier la question du passage de l’intelligence à la conscience artificielle. Enfin, par le biais de la conversation entre Frank Logan et Ada, l’auteur imagine ce que pourrait être la rencontre avec une nouvelle espèce.

Si Antoine Bello a choisi le sujet de l’IA, ce n’est pas (seulement) pour se faire le relais des préoccupations transhumanistes contemporaines. On retrouve en effet dans «Ada» les obsessions omniprésentes dans son œuvre : la théorie littéraire, la condition de l’écrivain et la nature du langage. Si une intelligence artificielle est capable d’écrire un article de presse ou un roman, qu’est-ce que cela dit de l’écrivain et de l’acte de d’écrire ? Le dialogue entre l’IA et l’inspecteur haïkiste débouche sur une réflexion borgésienne, iconoclaste et stimulante.

Machination et bombe logique

Que l’on se rassure, «Ada» n’est pas un roman à thèse ou un essai déguisé. L’intrigue y est prépondérante, même lorsqu’on a l’impression de la perdre de vue. Frank Logan, soumis aux pressions des actionnaires de la Turing et à l’insistance de sa hiérarchie, en vient à douter : doit-il vraiment retrouver Ada et la rendre à ses créateurs ? Ne peut-il rien faire contre le sinistre avenir que nous réservent les avides et naïfs promoteurs de l’intelligence artificielle ? Le roman policier prend des accents de thriller, tandis que s’annonce une conclusion héroïque.

Mais le lecteur assidu de l’arrière-petit neveu de Marcel Aymé, qui a lu «Éloge de la pièce manquante» et «Enquête sur la disparition d'Émilie Brunet», est déjà nerveux depuis un moment. Antoine Bello, il le sait, est amateur de littérature ludique : coup de théâtre, faux-semblant, mise en abyme, métafiction, manipulation du lecteur et porosité entre fiction et réalité lui sont coutumiers.

Pouvait-il écrire un roman sur une machine sans ourdir quelque machination ? Il faut attendre les toutes dernières pages pour que la vérité éclate. La terrible bombe logique concoctée par le machiavélique auteur remet en perspective l’ensemble de l’histoire et menace de faire exploser le cerveau de l’ingénu lecteur, convié à une relecture à rebours de ce petit chef-d’œuvre de récursivité.

«Ada», roman d'Antoine Bello, Collection Blanche, Galimard, parution le 25 août 2016

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